La stratégie de drague du timide (car il s'agit bien d'une stratégie) est plutôt payante et certains séducteurs d'opérette en ont fait leur fond de commerce en s'étiquetant « Ã©ternels ados attardés ».

De mémoire et dans le désordre, citons notre national Christophe Lambert, décédé subitement après Highlander, Vincent Lindon, bien sûr, parce que sa prononciation hoquetante et ses contractions simiesques en fond l'interprète parfait, ou encore l'anglais benêt Hugh « 9 mariages » Grant, véritable Casanova aux dires des locataires d'Hollywood boulevard (ndlr : Hugh s'est retrouvé en état d'arrestation pour s'être offert les services buccaux d'une prostituée au volant de sa voiture).

Bien sûr , cette timidité irrépressible est très flatteuse pour la jeune fille, qui ne peut que se sentir unique face un comportement si… « inadapté ».

Comment ce garçon pourrait-il se socialiser normalement s'il s'agite ainsi comme une queue de lézard coupée devant tout le monde ? pense t elle avant de conclure qu'il a définitivement un petit quelque chose de sympathique, ce joli garçon, et que de tout façon, elle ne risque pas grand chose tant il peine à être entreprenant.

Car voilà la force du timide : alors qu'il révèle effectivement ses intentions, il n'effraie pas, il ne précipite pas les choses, il s'immisce insidieusement en gagnant petit à petit la confiance de la jeune fille convoitée, se faisant l'écho réconfortant de ses rêves de prince charmant pour les plus jeunes et de l'instinct maternelle et protecteur chez les moins jeunes.

Mais voilà, comme beaucoup de traits de caractère, la timidité poussée à l'excès en devient quasiment pathologique. La timidité, véritable cancer du dragueur, est une maladie maligne qui grandit en quiconque en est atteint ......

.... Si les manuels de médecine en faisaient état, ils la décriraient certainement comme une réaction orgueilleuse inadaptée, évolutive, menant à un état d’inhibition caractérisé, et induisant des risques cardio-vasculaires.

Si cette définition semble un peu farfelu, c’est qu’elle présente les défauts de toute définition complexe qui se doit d’être tout à la fois concise et exhaustive. il convient d’en analyser les composantes.

La timidité est la réaction d’un orgueilleux.

Doté d’une estime de soi pharaonique, et ne supportant pas l’idée même de l’échec, le timide préfère l’inaction plutôt que de tenter une démonstration qu’il sait hasardeuse, de son intelligence si spirituelle, et de son esprit si intelligent. Bien entendu, cette réaction est dite « inadaptée » puisqu’elle induit un comportement inverse à celui recherché. L’objectif n’est pas atteint (puisqu’il a été nié, voire refoulé) mais l’honneur semble sauf. En vérité, le timide a emmagasiné un peu plus de frustration (qu’il lui faudra évacuer à la force du poignet), s’est conforté dans son choix, et s’est laissé gagner un peu plus par la maladie.

La timidité est évolutive.

La drague est une pratique, et comme toutes les pratiques, elle demande de l’entraînement, de la persévérance. Bien sûr, certains sont plus doués que d’autres dans l’art de convaincre, ou mieux doté physiquement (un physique agréable facilite grandement la prise de contact) mais « sans pratique, un don n’est rien qu’une sale manie » chantait Brassens et tous les grands séducteurs ont essuyé nombre de refus, vents, casquettes, râteaux, et autres instruments de jardinage alors qu’ils peaufinaient leur méthode.

La timidité est justement la maladie qui interdit toute pratique de la drague ou, à moindre échelle, qui limite la performance du dragueur. En se répétant, elle grandit dans l’organisme comme la rouille s’étend sur le métal, jusqu’à ankyloser totalement la volonté du dragueur et confirmer un des plus vieux principes qui régit notre monde : le principe d’inertie. Plus la timidité avance, et plus la drague recule...

... Chacun de nous se fait le théâtre de cette lutte.

La timidité comme facteur de risques cardio-vasculaires .

Conscient d’être handicapé par son état, le timide, dans sa grande détresse, « s’auto médicamente » en ingurgitant ce qu’il croit capable de le guérir… des drogues.

L’alcool, en premier lieu, dont les méfaits sont souvent mésestimés de par une légitimité culturelle, donne d’excellents résultats lorsqu’il est consommé avec modération.

Le buveur est fortement valorisé comme un mâle robuste, un homme d’expérience, bref, un dur à cuire. A chaque levée de coude, il porte à sa bouche un symbole phallique, une forme oblongue remplie d’un élixir de vie (ou du moins d’une eau de vie) .

En 30 minutes, c’est la dés inhibition accompagnée d’un brin d’irresponsabilité et de provocation taquine.

En 2 heures, le timide, haleine de baleine, peau poreuse et regard hagard, est un obsédé sexuel en puissance (et accessoirement un impuissant sexuel éthylique), bouillant et sifflant comme une cocotte-minute en un délire lubrique et libidineux. Il est devenu un alcoolique mondain.

Pour éviter ce genre de désagrément, les timides à l’aise (financièrement j’entends) consomment plutôt la cocaïne, qui les fait muter en mégalomaniaques hyperactifs. Cette drogue est littéralement un concentré d’essence d’assurance de soi. Ça fonctionne tellement bien que la dépendance est immédiate et que le timide ne l’est plus. Il est devenu toxicomane.

Enfin, il faut également compter avec les cigarettes, autre symbole phallique, dont les résultats sur la timidité sont nettement moins probants mais permettent toutefois d’acquérir une contenance, de se réassurer, et donnent l’illusion de gérer la nervosité.

Le timide l’est toujours. En plus de cela, il fume.

En vérité, je vous le dis, guérir la timidité demande un travail sur soi évidemment proportionnel à l’état d’avancement de la maladie. Ce travail est avant tout un travail d’auto persuasion, de réflexion, d’une pratique croissante de contacts humains. Il faut apprendre empiriquement, analyser chaque échec et cent fois sur le métier remettre son ouvrage. Si dépendance il doit y avoir, il faut que ce soit du frisson qui précède l’approche, du plaisir de gagner du terrain, et de la fièvre de la victoire.